36ÈME SOMMET DE L’UNION AFRICAINE: L’ALLOCUTION DU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION SEM MOUSSA FAKI MAHAMAT.

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Allocution du Président de la Commission de l’Union Africaine, S.E. Moussa Faki Mahamat, à l’occasion de la 36ème Assemblée ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’Union Africaine le 18 février, 2023

Excellence Monsieur Macky Sall, Président de la République du Sénégal, Président en exercice de l’Union africaine,

Excellences Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,

Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies,

Monsieur le Secrétaire général de la Ligue des États Arabes,

Monsieur Mohammad Shyayyeh, Premier ministre de l’Etat de Palestine,

Madame la Vice-Présidente de la Commission de l’Union africaine,

Mesdames, Messieurs les membres du Conseil exécutif,

Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Honorables invités

Mesdames, messieurs

C’est pour moi un honneur et un privilège de vous recevoir dans l’enceinte de l’Union africaine à l’occasion de cette 36eme session ordinaire de la Conférence ordinaire de notre Union. Je voudrais saisir cette opportunité pour vous exprimer, à l’entame de l’année 2023, mes vœux sincères d’une année pleine de bienfaits pour vous-mêmes, pour vos familles et pour vos chers pays respectifs.

Il me plaît aussi de rendre un vibrant hommage à mon frère, Son Excellence Macky Sall, Président de la République du Sénégal, Président en exercice de l’Union dont j’ai eu l’occasion d’admirer l’humilité et le naturel sans artifice. Ces qualités ont fait de notre expérience ensemble un exercice plaisant de rationalité, d’efficacité et de grande visibilité pour l’organisation.

Monsieur le Président de la République fédérale des Comores va prendre le témoin. Son engagement, son dévouement et son ambition pour l’Afrique nous permettront, j’en suis persuadé, de conduire sur les traces des six précédents présidents en exercice que j’ai connus, une belle aventure au service de notre continent.

Excellences Monsieur le Président

Mesdames, Messieurs

Notre Session se tient dans un contexte international marqué par des incertitudes inquiétantes, nourries des conflits géopolitiques, d’une gouvernance économique fragmentée, aux conséquences imprévisibles sur l’Afrique.

Ainsi, au cours des trois dernières années, la croissance économique mondiale a perdu son élan et l’inflation enregistre des taux toujours plus élevés. Les relents de protectionnisme commercial, les taux d’endettement insoutenables et la crise énergétique induisent des coûts de production en hausse. La question des financements de nos économies, notamment les infrastructures, demeure entière.

Malheureusement, devant les promesses alléchantes de financement non tenues de nos partenaires, les Etats membres se trouvent dans l’obligation de s’endetter à des conditionnalités draconiennes comme en témoignent les négociations en cours de certains de nos pays avec les institutions financières internationales.

Face à une telle situation, il est impérieux que nos Etats membres se décident, avec détermination, dans leurs choix économiques et de développement. L’activation des mécanismes divers de résilience interne, de solidarité intra africaine, de mise en œuvre rapide des institutions financières africaines, le tout porté par une gouvernance vertueuse parait, sans démagogie, être ici la voie du salut. La souveraineté collective et la solidarité auxquelles nous aspirons sont à ce prix.

Le paradigme dans lequel on voit, bras croisés, la demeure du voisin brûlée, doit impérativement changer, si nous voulons rester crédibles.

Ce paradigme-là est une forme de démission collective de la conscience qui n’a rien à voir avec notre culture et encore moins avec notre civilisation fondées, toutes deux, sur l’entraide. L’exemple choquant de ces réalités est aujourd’hui donné par les pays confrontés au terrorisme, lesquels se battent, souvent seuls dans l’indifférence générale. Je comprends bien ceux qui s’interrogent avec amertume.

Où est le panafricanisme ? disent certains. Où est la solidarité ? leur entonnent d’autres ? Où est la fraternité ? répètent-ils tous en chœur.

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs

La montée du protectionnisme commercial nous contraint à accélérer avec davantage de force et de détermination notre projet d’intégration économique, par l’opérationnalisation de la ZLECAf.

Les infrastructures, l’énergie et la digitalisation sont les piliers indispensables à la mise en œuvre de la ZLECAf, dont l’accélération a été retenue comme thème de l’année. Cette opérationnalisation gagnerait à ce que le leadership africain que vous êtes, lui donne l’impulsion décisive tant attendue, ne serait- ce qu’en rendant possible la libre circulation des personnes et des biens.

Nos efforts de positionnement international doivent s’intensifier en faveur d’un multilatéralisme revivifié, propice à une présence dans les espaces où se prennent les décisions mondiales stratégiques.

Dans cette logique, nous enregistrons avec satisfaction les progrès sur la voie de l’admission de l’UA au G20. Notre espoir est que cette éventuelle accession puisse amplifier la voix africaine et permettre à notre organisation continentale d’apporter sa contribution propre aux solutions des problèmes du monde.

Dans cet ordre d’idées s’impose alors à la raison la nécessité de réformer la gouvernance mondiale dans ce qu’elle a de plus inique, dont l’exclusion de l’Afrique du cercle des membres permanents au Conseil de Sécurité n’est pas la moindre des injustices.

C’est le lieu de poser clairement l’urgence de la réforme de nos partenariats en se concentrant sur leur substance, leur finalité et leur mode de fonctionnement plutôt que de ramener ce besoin de réforme au seul aspect des formats de tels partenariats dits stratégiques.

Une évaluation sans complaisance de ces partenariats s’impose afin d’en ressortir les résultats et, le cas échéant, de les adapter à nos besoins prioritaires. L’exemple nous est donné aujourd’hui par la place qu’occupe la Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) dans la configuration des agences et instruments de développement et de gouvernance en l’Afrique.

Créée à un moment de l’histoire l’Afrique ne disposait pas de structures pertinentes en ces domaines, la CEA a été très utiles, mais partage désormais le même champ de compétences que les Départements de la Commission, la Zlecaf et l’Auda-Nepad. Il est dès lors souhaitable d’engager une réflexion dans le sens d’une meilleure harmonisation de ses objectifs et de ses finalités.

Monsieur le Président,

Mesdames Messieurs

L’une des fragilités majeures de l’Afrique se manifeste dans les champs politique et sécuritaire, les deux s’influençant mutuellement. Dans ces domaines, les efforts de construction nationale se heurtent ces derniers temps à la résurgence des changements anticonstitutionnels de gouvernement accentuant l’instabilité politique et la fragilisation des Etats. Celles-ci sont par ailleurs alimentée par d’autres foyers tels que l’extrémisme violent, le terrorisme, la conflictualité inhérente aux processus électoraux, les conflits intercommunautaires et les changements climatiques.

Je voudrais saisir ici l’occasion de poser clairement la question des sanctions imposées aux États membres, suite à des changements non constitutionnels de gouvernements. A l’évidence, ces sanctions ne semblent pas produire les résultats escomptés. Bien au contraire, elles suscitent la défiance des Etats concernés et paraissent sanctionner davantage les populations et impacter négativement les économies des pays visés.

Il me parait nécessaire de réexaminer le système de résistance aux changements non constitutionnels pour le rendre plus efficace contre le mal et plus soucieux des conditions économiques et sociales des populations. C’est sans doute l’un des angles sous lequel la réforme du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine doit être sérieusement envisagée.

Dans le panorama général, l’on constate avec fierté que l’Afrique et encore moins son organisation continentale, ne vivent pas ces difficultés comme une fatalité insurmontable. L’Union africaine déploie sur le terrain des actions préventives, de gestion, de résolution des conflits et de poursuite d’une grande variété de programmes et de projets multi sectoriels.

En dépit de quelques ombres, son bilan au titre de l’année 2022, est plutôt satisfaisant. Le rapport annuel du President de la commission rend compte, sans complaisance mais sans autoflagellation, de ce bilan honorable à l’actif certes de la Commission mais aussi et surtout aux centaines d’hommes et de femmes dévoués à l’Afrique qui investissent nuits et jours leur intelligence et leurs immenses compétences au service de la noble cause.

La Feuille de route principale pour la poursuite de la mise en œuvre du projet-phare « Faire taire les armes » sur la décennie 2020-2030 a gardé le cap sur son objectif. Ainsi, l’Union s’est – elle investie pleinement dans la résolution et l’atténuation de certaines crises sur le continent.

Dans ce registre, nous pouvons mentionner la conclusion d’un accord entre les frères Ethiopiens ce qui m’offre l’occasion d’exprimer mes sincères félicitations aux parties et à leurs dirigeants. Mes remerciements vont au Président Olesegun Obasanjo et au membres du panel dont le dévouement et la sagesse ont été remarquables. L’Afrique du Sud a offert son hospitalité et un environnement propice. Qu’elle en soit vivement remerciée.

Les pas franchis sur la voie de la réconciliation en Libye attestés hier par le Comité de Haut niveau, les progrès au Soudan vers un accord politique inclusif et les avancées en Somalie avec la montée en puissance de l’armée somalienne et ses victoires contre les terroristes, les décisions pertinentes prises hier soir par le Conseil de Paix et de Sécurité sur la situation préoccupante à l’est de la RDC, sont des signes probants que nous sommes globalement sur la bonne voie.

Le terrorisme poursuit son extension au Mali, au Burkina Faso et dans la région du Lac Tchad, avec des incursions sporadiques, non moins meurtrières, au Mozambique, au Benin et au Togo. Nous avons ici besoin d’un sursaut national et international de solidarité concrète, décisive, immédiate avec les pays affectés. Le temps de la parole est ici fini.

Excellences,

Mesdames Messieurs

Ce Sommet coïncide avec le 60ème anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), du vingtième anniversaire de l’Ua et de la première décennie de l’agenda 2063. Permettez-moi de saisir cette opportunité pour soumettre à votre attention cette réflexion que m’inspire ces anniversaires.

Un rapide regard rétrospectif montre, en toute objectivité, que l’Afrique indépendante depuis une soixantaine d’années, n’est pas encore totalement en paix; elle n’a pas encore réalisé, au-delà des formes, l’essentialisme de son unité, ni atteint le niveau de prospérité que son âge et ses ressources auraient dû lui assurer.

Je sais que le temps des Nations n’obéit pas au même rythme que celui des humains. J’ose la comparaison pour évoquer les transformations réussies durant la même période par des régions du monde qui avaient, au départ, le même niveau de développement que l’Afrique.

D’où vient-il alors que nous n’évoluions pas au rythme souhaité ? Pourquoi nous ne progressons pas malgré nos formidables atouts humains et nos immenses potentiels en ressources naturelles ?

Après six années passées à la tête de la Commission, j’ai mesuré la complexité ainsi que les limites de l’Exécutif continental qui dispose -avouons- le de peu de marge pour mettre en œuvre les décisions formellement arrêtées par la Conférence.

Je suis arrivé à la conclusion que nous ne faisons pas assez pour réaliser les grandes ambitions qui ont présidé à la création de notre organisation et, de manière générale, pour sortir du cercle vicieux de la dépendance, du sous-développement, de l’éparpillement et des déficits patents d’intégration.

N’ayons pas peur de le dire, nous mettons beaucoup d’enthousiasme dans l’élaboration de grands projets pour l’Afrique, dans la prise de certaines décisions, mais, malheureusement beaucoup moins de soins à leur réalisation simplement par défaut de volonté politique agissante. Cette rupture entre paroles et actes est le principal facteur de désaffection des populations vis à vis de l’organisation continentale.

Le phénomène est aggravé par la prévalence des intérêts nationaux, cristallisant chaque jour un peu plus les divisions et les clivages, affaiblissant ainsi les élans dans la construction d’une Afrique parlant d’une seule voix, intégrée, forte et prospère.

Je n’évoquerai que quelques actes fondateurs qui peinent à se réaliser du fait de cette absence de volonté politique : la libre circulation de personnes et des biens le passeport africain, la création des institutions financières, le marché unique du transport aérien en Afrique, le lancement des grands chantiers d’infrastructures intégratrices.

Nous avons besoin, dans chaque nation africaine, d’une organisation autrement perçue, autrement soutenue, autrement instrumentalisée pour le plus grand bien de nos peuples, de leur liberté, de leur dignité et de leur prospérité.

Je crois, avec foi, pouvoir compter sur votre engagement, votre sagesse et votre courage, afin que se poursuive, avec ténacité et ferveur, l’œuvre entamée par nos pères fondateurs depuis l’aube des années Soixante.

C’est, à mon sens, la meilleure façon de célébrer nos soixante ans!

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

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