AVANT LE DÉLUGE, LE PRÉSIDENT THABO MBEKI CONDAMNE LES MANOEUVRES FRAUDULEUSES DU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE, MOUSSA FAKI MAHAMAT EN CÔTE D’IVOIRE.

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Gbagbo Mbeki
Les Présidents Thabo Mbeki et Laurent Gbagbo au temps fort des négociations qui ont abouti à la prise d’un décret exceptionnel qui autorise Alassane Ouattara à être candidat en 2010.

La Lettre Historique du Président Thabo Mbeki au Président de la Commission de l’Union Africaine. En fin connaisseur de la crise ivoirienne, le Président Mbeki démonte la partialité flagrante du sieur Moussa Faki Mahamat qui viole les textes de l’Union Africaine pour voler au secours de son copain dictateur Alassane Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire.

Fondation Thabo Mbeki pour la Renaissance Africaine

Private Bag X444, Houghton, 2041

République Sud-Africaine

Le 25 octobre 2020

A son Excellence Mr Moussa Faki Mahamat

Président de la Commission de l’Union Africaine

Addis Abeba

Votre excellence,

J’ai pris note du fait que le communiqué publié à l’issue de la mission de solidarité commune de la CEDEAO, de l’Union Africaine, des Nations Unies and du Conseil de l’entente le 7 octobre 2020, a entre autres affirmé que :

« La mission commune a informé les autorités ivoiriennes et les acteurs politiques ivoiriens de l’intention de la CEDEAO et de l’Union Africaine de déployer des observateurs électoraux pour l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 »

Je viens d’être informé que depuis lors, la Commission de l’Union Africaine a d’ores et déjà déployé de tels « observateurs électoraux ».

Je m’adresse à votre Excellence pour vous faire part de mes fortes réserves dans l’éventualité où un tel déploiement d’« observateurs électoraux » aurait effectivement eu lieu.

Je le fais, Excellence, pour deux raisons.

La première est que l’Union Africaine a une responsabilité très importante par tous les temps, celle d’accomplir sa mission envers tous les Etats membres tel qu’expliqué dans l’Acte Constitutif de l’Union Africaine.

Au regard de l’affaire en cause, je me refère immédiatement à l’article 3, portant sur les Objectifs , et notamment en ses sections f, g et h, qui disent que certains des objectifs de l’Union sont de :

  • « promouvoir la paix, la sécurité, et la stabilité dans le continent ;
  • « promouvoir les principes et institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ;
  • « promouvoir et protéger les droits humains et les droits des peuples conformément à  la Charte Africaine sur les droits humains et des peuples, et à l’ensemble de instruments juridiques concernant les droits humains… »

Au regard de la situation en Côte d’Ivoire, ceci signifie que l’Union Africaine devrait accorder une attention particulière au défi sérieux qui consisterait à tout faire pour éviter que cet Etat Membre de l’Union Africaine ne régresse vers la situation qui le conduisit vers le déclenchement de la très destructive guerre civile de 2002 à 2007.

Comme l’Union Africaine le sait fort bien, ceci nous renvoie directement au conflit qui est apparu en Côte d’Ivoire à propos des élections présidentielles imminentes.

Ma seconde raison, Excellence, c’est d’insister sur le fait que la Commission de l’Union Africaine a une obligation absolue de respecter les décisions de l’Union Africaine et de ses institutions sous-jacentes.

Je crois qu’il n’est nul besoin pour moi d’argumenter davantage sur la question des obligations imposées à la Commission de l’UA  par l’Acte Constitutif de l’Union Africaine, tout en y incluant, dans la mesure où ceci concerne immédiatement la Côte d’Ivoire, ma première raison.

Néanmoins, Je vais faire à présent quelques commentaires en rapport avec la seconde raison, comme expliqué plus tôt.

Par deux fois, récemment, notre collègue, Mme Minata Samaté Cessouma, Commissaire de l’UA aux Affaires Politiques, a visité Abidjan en sa qualité de membre de la Mission Commune de Solidarité que j’ai mentionnée plus tôt.

Thabo Mbeki Parle Gbagbo Et Lance Un Appel Dirigeants Ivoiriens
Thabo Mbeki et Alassane Ouattara pendant les négociations des accords de Prétoria.

Durant ces visites, elle a été clairement informée des préoccupations et observations sérieuses convoyées par l’Opposition Politique Ivoirienne au sujet des élections présidentielles imminentes.

Mieux encore, J’ai fait ce que je pouvais pour vous transférer des communications variées adressées au Président de l’Union Africaine, Son Excellence le President Cyril Ramaphosa, concernant ces élections présidentielles ivoiriennes.

J’aimerais donc croire que la Commission de l’Union Africaine, y compris son estimé Président en exercice, sont bien informés à propos des différentes questions qui :

  1. Menacent la crédibilité des élections envisagées du point de vue de millions d’Ivoiriens ;
  2. Soulèvent des interrogations à propos de la légitimité consécutive aux résultats de ces élections aux yeux des millions d’Ivoiriens ; et,
  3. Par conséquent, créent de sérieuses préoccupations à propos de l’impact de tout ceci sur la paix et la stabilité de la Côte d’Ivoire.

J’aimerais bien croire que votre Excellence et le reste de la Commission de l’UA êtes familiers avec le fait que certains des sujets suggérés par l’Opposition Ivoirienne devraient constituer une partie de l’Agenda d’un Dialogue Inclusif sur les Elections Présidentielles qu’elle a proposé, notamment que :

  1. Son Excellence le Président Alassane Ouattara ne doit pas être candidat à un 3ème mandat car il n’y est pas éligible ;
  2. Les leaders ivoiriens éminents, messieurs Laurent Gbagbo et Guillaume Soro devraient être autorisés à participer aux élections ;
  3. La Commission Electorale Indépendante devrait être reconstituée ; et,
  4. Le Conseil Constitutionnel devrait être empêché de jouer le moindre rôle dans les Elections.

Je crois que ceci devrait être immédiatement évident pour quiconque a la moindre accoutumance avec la politique ivoirienne, car si ces préoccupations ne sont pas résolues, ces questions feraient apparaître de sérieux doutes sur la véritable crédibilité des élections auxquelles elles se réfèrent.

A propos de ce qui concerne la question de l’éligibilité du Président Ouattara, l’Opposition Politique a avancé un argument qui dit :

« La lecture combinée des articles 55 et 183 de la constitution ivoirienne de 2016 et de l’article 35 de la constitution de 2020 n’autorise pas le Président de la République à être candidat pour un 3ème mandat. »

Pour l’essentiel, ceci signifie que du point de vue de l’Opposition, la disposition de la constitution d’avant 2016 limitant les mandats présidentiels au nombre de deux n’a pas été changée dans la Constitution de 2016 et demeure valable pour tous ceux qui ont été élus sous la constitution d’avant 2016.

Il n’est nullement contesté que quand il finira son mandat présidentiel en 2020, Le Président Ouattara aura ainsi fini son second mandat, ayant été élu en 2010. L’Opposition argue qu’il n’y a rien dans la Constitution de 2016 et ses amendements subséquents qui puisse établir une nouvelle république permettant au Président Ouattara de candidater pour un nouveau mandat présidentiel.

La Commission de l’UA est parfaitement familière avec le procédé de l’usage des changements constitutionnels pour étendre les limites des mandats des présidents en exercices, contrairement aux dispositions reconnues lorsqu’ils furent premièrement élus.

Dans beaucoup de cas, de telles interventions sont directement contraires au moins à l’esprit des dispositions pertinentes de l’Acte Constitutif de l’UA et de la Charte de l’UA sur les Elections, la Démocratie et la Bonne Gouvernance.

Autant que je sache, personne n’a contesté avec succès l’interprétation de la Constitution ivoirienne faite par l’Opposition concernant l’éligibilité du Président Ouattara à la présidentielle 2020, exceptés le Président Ouattara, ses collègues et supporters.

Je suggère fortement qu’à moins que la Commission de l’Union Africaine ne soit en capacité de proposer une opinion judiciaire alternative, comme par exemple celle de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), elle n’a pas d’autre choix que d’accepter que le Président Ouattara doit être disqualifié pour être candidat à l’élection présidentielle parce qu’il a déjà effectué ses deux mandats.

Concernant la question de la participation de messieurs Soro et Gbagbo dans les élections à venir, la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples a énoncé deux décisions de justice obligatoires.

Le 15 septembre 2020, la Cour a décidé que le Gouvernement de Côte d’Ivoire doit :

« Prendre toutes les mesures nécessaires pour ôter immédiatement tous les obstacles empêchant le plaignant Guillaume Soro de jouir de ses droits d’électeur et de candidat, en particulier durant l’élection présidentielle d’Octobre 2020… »

Le 25 septembre 2020, la Cour a ordonné à l’Etat de Côte d’Ivoire de :

« prendre toutes les dispositions pour ôter immédiatement tous les obstacles empêchant le plaignant Laurent Gbagbo d’être inscrit dans les listes électorales ».

La Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples a également pris d’importantes décisions concernant la Commission Electorale Indépendante (CEI) qui devrait organiser les élections à venir.

Dans son Communiqué de Presse du 15 juillet 2020 portant jugement (Plainte n°044/2019) sur l’affaire :

« Suy Bi Gohoré Emile et autres Contre République de Côte d’Ivoire », la Cour a dit :

« Conformément à ce qui suit, la Cour a ordonné à l’Etat répondant de prendre les mesures nécessaires avant toute élection pour s’assurer que le processus de nomination des membres du corps électoral par les partis politiques, et tout particulièrement les partis d’opposition, aussi bien que les Organisations de la société civile, basé sur des critères pré-déterminés, aient le droit de s’organiser eux-mêmes, de se consulter et de tenir des élections si nécessaire, avant de soumettre leurs nominés.

« La Cour a en outre ordonné à l’Etat répondant de lui rendre compte des mesures prises en regard des deux décisions mentionnées ci-dessus, dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification du présent jugement, et ensuite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour considère qu’il y a eu pleine application de ces jugements. »

Les trois mois mentionnés dans le jugement devraient prendre fin autour du 15 octobre 2020.

Le Gouvernement de Côte d’Ivoire a échoué à honorer tous les jugements que la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples a mentionnés.

Malgré cela, le Gouvernement ivoirien a fait état de son intention de sortir du protocole d’appartenance comme membre de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, espérant que ceci l’affranchirait de l’obligation d’appliquer les décisions pendantes de la Cour Africaine.

Néanmoins, de façon correcte, la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples a indiqué qu’étant donné ses règles de fonctionnement, un tel « retrait » par la Côte d’Ivoire ne pourrait prendre effet qu’en 2021, en tout état de cause, et ne pourrait donc avoir le moindre impact sur l’application des jugements de la Cour !

L’affaire de l’instance tenue du Conseil Constitutionnel concernant les élections advient dans le contexte des jugements de la CADHP que nous avons mentionnés.

Evidemment, ceci a été fait parce que le Conseil Constitutionnel a pris des décisions spécialement concernant messieurs Gbagbo et Soro, qui ont été renversées par la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples. L’Opposition ivoirienne soutient que le Conseil Constitutionnel a décidé d’exclure messieurs Gbagbo et Soro des élections présidentielles parce qu’il est devenu un supporter partisan du président Ouattara et de son parti, et par conséquent ne peut plus jouer un rôle neutre dans la conduite des Elections Présidentielles de 2020!

Ce qui précède signifie que la Commission de l’Union Africaine ne peut éviter de poser des questions concernant la conduite des élections ivoiriennes à venir, telles que nommément :

  1. quel impact la dispute autour de ces élections a sur les réquisitions prescrites dans la Charte Africaine sur les Elections, la Démocratie et la Bonne Gouvernance qui affirme que les conditions doivent être réunies pour que toutes les élections africaines soient « transparentes, libres et équitables » ;
  2. est-ce possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres et équitables » quand une Cour constituée par l’UA, la CADHP a décidé que l’exclusion de certains candidats doit être annulée et quand on sait que le Gouvernement de Côte d’Ivoire a refusé de d’honorer ce Jugement ;
  3. est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres et équitables », car une Cour constituée par l’UA, la CADHP, a décidé que la CEI telle qu’actuellement constituée aux niveaux national et régional, est illégitime et doit être reconstituée, et quand on sait que le Gouvernement de Côte d’Ivoire a refusé d’honorer ce jugement ;
  4. est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libre et équitables », quand le droit constitutionnel demeure dans les mains du Conseil Constitutionnel, comme unique institution en droit de confirmer le résultat final des élections et le serment du Chef de l’Etat élu, étant donné la preuve manifeste de son rôle partisan ;
  5. évidemment, nous devons également poser la question- est-il possible d’avoir de telles élections « transparentes, libres et équitables », et légitimes, si l’un des candidats, cette fois-ci le Président en exercice, est autorisé à être candidat contrairement aux prescriptions de la Constitution ?

Le Haut Représentant de l’Union Européenne a fait quelques commentaires à propos des élections ivoiriennes à venir, entre autres :

« L’Union Européenne observe  les différentes affaires portées devant la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples concernant le processus électoral et réitère son engagement pour le respect de la justice internationale. »

Je cite cette observation significative et cet engagement parce que cela souligne la question importante et urgente- l’UA, y compris la Commission de l’UA, ont-elles également un respect similaire de la justice internationale, y compris telles qu’elle émane des décisions de la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples ?

Quelle implication ceci a -t-il sur les élections à venir en Côte d’Ivoire ?

Mieux encore, comme votre Excellence le sait sans doute, la Charte Africaine sur les Elections, La Démocratie et la Gouvernance fait une référence spécifique à la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples.

L’article 45 dit que la Commission de l’UA doit :

« Coordonner l’évaluation sur la mise en œuvre de la Charte avec les autres organes clés de l’Union, incluant le Parlement Pan-Africain, la Conseil de Paix et de Sécurité, La Commission Africaine des Droits de l’Homme, la Cour Africaine de Justice et des Droits Humains, Le Conseil Economique, Culturel et Social, les Communautés Economiques Régionales et les structures de niveau-national appropriées. »

Le Gouvernement de Côte d’Ivoire a défié l’autorité de la CADHP à connaître des affaires électorales ivoiriennes. La Cour a décidé aux détriments du Gouvernement ivoirien sur ces affaires. Bien sûr, comme nous pouvons le voir dans le paragraphe ci-dessus, la Cour Africaine de Justice et des Droits Humains  mentionne elle-même la CADHP  comme l’une des juridictions relevant de sa compétence.

De mon point de vue, ceci rend souligne davantage le besoin pour la Commission de l’UA de prendre en considération les décisions de la CADHP concernant les élections ivoiriennes à venir, au moment de prendre des décisions concernant ces élections.

L’article 20 de la Cour Africaine de Justice dit :

« Le Président de la Commission doit d’abord envoyer une mission exploratoire pendant la période précédant les élections. Cette mission doit obtenir toutes informations et documentations utiles, et informer le Président de la Commission, en lui disant si les conditions nécessaires ont été établies et si l’environnement est de nature à favoriser la tenue d’élections transparentes, libres et justes en conformité avec les principes de l’Union régissant les élections démocratiques. »

Cet article dispose aussi que :

« La Commission doit prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que la L’Unité d’Assistance Démocratique et Electorale et le Fond d’Assistance Démocratique et Electorale apporte l’assistance requise et des ressources aux parties concurrentes en soutien au processus électoral. »

Sûrement, une telle « mission exploratoire » aurait dû trouver que de nombreux développements en Côte d’Ivoire soulevaient des préoccupations, notamment pour savoir si « l’environnement est de nature à favoriser la tenue d’élections transparentes, libres et justes en conformité avec les principes de l’Union régissant les élections démocratiques ».

La mission aurait dès lors recommandé que la Commission de l’Union Africaine fasse tout ce qui est nécessaire pour « apporter l’assistance requise et les ressources en soutien au processus électoral en Côte d’Ivoire ».

Comme votre Excellence le sait sans doute, en plus de l’affaire des proches élections en Côte d’Ivoire, l’une des préoccupations est de savoir si, en pratique, la Commission de l’UA respecte les institutions de l’Union, et dans le cas présent la Cour Africaine de Justice !

Votre Excellence, tout dans la présente lettre suggère que la décision de déployer des Observateurs Electoraux de l’UA concernant les élections ivoiriennes à venir a été mal inspirée, dans la mesure où ceci a été fait sans une prise en considération sérieuse des graves contentieux soulevés par l’Opposition Politique aussi bien que par les jugements de la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples.

Votre Excellence, je vous prie donc de prendre en considération et d’agir sur les questions que j’ai soulevées dans cette lettre, en gardant pleinement dans votre esprit les intérêts fondamentaux des peuples de Côte d’Ivoire et d’Afrique en entier.

Je vous prie d’accepter, Votre Excellence, l’assurance de notre plus haute considération.

Thabo Mbeki.

Patron.

CC : -A Son Excellence le Président de l’Union Africaine

-A Son Excellence, la Commissaire aux Affaires Politiques de l’Union Africaine.

(Traduction de l’anglais vers le français par le Professeur Franklin Nyamsi Wa Kamerun.

(Le 28 octobre 2020, Rouen, France )

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