LYBIE: HAFTAR COURTISE LE CONSEIL PRESIDENTIEL…UN CHANGEMENT STRATEGIQUE OU UNE TACTIQUE MOMENTANEE?

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Le général putschiste, Khalifa Haftar, a surpris, plus d’un observateur du dossier libyen, par l’annonce faite par ses milices de leur appui à la nouvelle Autorité exécutive, dont aucun des membres n’a soutenu sa dernière attaque contre la capitale Tripoli.

Ce qui suscite plus l’intérêt dans les déclarations faites par Ahmed Mesmari, porte-parole des milices de Haftar, est sa reconnaissance de l’autorité du nouveau Conseil présidentiel, avant même l’octroi de la confiance par la chambre des députés au gouvernement d’Union nationale, comme cela avait été conditionné par le gouvernement (non reconnu internationalement) de Abdallah al-Thani, dont relèvent ces milices.

Dans une déclaration télévisée, Mesmari a souligné : « Le Conseil présidentiel est le comandant en chef de l’armée libyenne, et cela implique une coordination et une coopération importantes » avec les milices de Haftar.

Mesmari a ajouté, sur un ton peu habituel de la part des milices de Haftar : « Nous relevons de l’Autorité (Le Conseil présidentiel), et nous sommes soumis à la loi et à la Constitution ».

Acceptation de se soumettre à une autorité civile

Depuis l’année 2016, Haftar a refusé de reconnaître l’autorité du Conseil présidentiel sur ses milices, de même qu’il a tourné le dos à une série d’initiatives pour commander l’armée libyenne, sous réserve de se soumettre à une autorité civile.

En vertu de l’Accord politique conclu, en décembre 2015, le Conseil présidentiel représente le commandant en chef de l’armée et dispose des prérogatives de démettre le chef d’Etat-major, ce qu’a toujours rejeté le général putschiste.

Haftar a, avec le concours du président de la Chambre des députés de Tobrouk, Aguila Salah, joué un rôle principal pour entraver l’octroi par le parlement la confiance au gouvernement d’Entente nationale, tout au long des cinq dernières années.

Haftar a, en revache, œuvré à renverser le gouvernement d’Entente et à saper son autorité dans l’est et le sud du pays, avant de lancer une attaque d’envergure sur son bastion dans la capitale Tripoli, en date du 4 avril 2019, pour l’éliminer.

Même après l’échec de son attaque, qui a duré 14 mois, Haftar s’est employé à s’imposer comme président du pays, à travers ce qu’il a appelé « un mandat populaire ».

Néanmoins, ce projet est tombé à l’eau et n’a pas été accueilli favorablement sur la scène internationale. Ce projet a été également contré par l’allié de Haftar, Aguila Salah, qui lui dispute désornais le pouvoir et l’influence dans l’est de la Libye, à la faveur d’un appui tribal et du soutien égyptien et russe.

Malgré l’accueil favorable réservé par les acteurs locaux et internationaux à la nouvelle Autorité exécutive en Libye, il n’en demeure pas moins, que de rares voix soutenant Haftar, ont affiché leur rejet du nouveau Conseil présidentiel sous la direction de Mohamed Manfi et du nouveau Chef du gouvernement, Abdelhanid Dbaidah.

Cela pose une interrogation au sujet des intentions de Haftar de saluer rapidement l’élection de la nouvelle Autorité exécutive, s’agit-il d’un changement stratégique sur la voie de la paix ou d’une manœuvre tactique pour éviter la bourrasque.

Inquiétude d’éventuelles sanctions américaines

Il est indéniable que le départ de Donald Trump de la Maison Blanche et l’arrivée de Joe Biden aux commandes des Etats-Unis ont, grandement, influé la scène internationale, en général, et en particulier les décisions des alliés de Haftar, au premier rang desquels figurent l’Arabie Saoudite et les Emirats, aussi bien dans le dossier de la guerre au Yémen que dans celui de l’assassinat du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, à l’intérieur du consulat de son pays, dans la ville turque d’Istanbul, en 2018.

Haftar a anticipé toute position américaine hostile en annonçant sa soumission à la nouvelle Autorité civile. Notons que les Nations unies et nombre de pays occidentaux, y compris la France, ont menacé d’infliger des sanctions à toute partie qui entraverait le dialogue interlibyen.

Haftar ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre après le départ de son allié Trump de la Maison Blanche, dès lors qu’il ne lui reste que de faire fac ce aux « lignes rouges » imposées par l’investiture de Biden.

Bien qu’il ait menacé, en décembre 2020, d’engager une nouvelle guerre en Libye contre la Turquie, avant l’investiture officielle de Biden, le 20 janvier écoulé, les plus proches alliés internationaux de Haftar, à l’exception des Emirats, n’ont plus confiance en la capacité de ces milices à remporter une victoire rapide pour prendre le contrôle de Tripoli.

Haftar avait échappé auparavant à des sanctions internationales, qui ont touché, en revanche, son allié Aguila Salah, en 2016, et ce à la faveur du veto français.

Cependant, sa position actuelle est fragile à plusieurs niveaux et Paris, dont les cartes sont désormais connues, ne serait plus en mesure, cette fois-ci, de le protéger et procédera même à le sanctionner.

– A la recherche d’une immunité

L’étau se resserre, de jour en jour, autour de Haftar, en particulier au sujet de deux plaintes déposées contre lui dans un tribunal fédéral américain, dans l’Etat de la Virginie, étant accusé de commission de crimes de guerre après que l’ancien Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, ait refusé de lui tendre une « bouée de sauvetage ».

En effet, Pompeo a, prudemment, évité avant de quitter son poste de répondre à une correspondance adressée par le tribunal au sujet d’une allégation des avocats de Hafter qui prétendaient que leur client bénéficie de « l’immunité présidentielle ou para-présidentielle ». Ce refus de Pompeo est synonyme de feu vert pour poursuivre le procès.

En cas d’inculpation, les biens de Haftar aux Etats-Unis, évalués à des millions de dollars, seront saisis et cela ouvrira la voie à d’autres plaintes judiciaires contre le général putschiste, ce qui entravera ses ambitions à occuper des hautes fonctions au sein de l’Etat ou à se porter candidat à la présidence du pays.

Ainsi, le fait que Haftar ait courtisé le nouveau pouvoir exécutif en Libye pourrait être assimilé à une manœuvre pour obtenir un poste de souveraineté (commandant en chef de l’armée) qui lui permettra de bénéficier de l’immunité le protégeant contre tout procès aux Etats-Unis ou ailleurs.

L’attaque menée par le régiment « Tarek Ibn Zied », conduit par Saddam, le fils de Khalifa Haftar, contre le siège des milices du 9ème régiment dans la ville de Syrte (450 Km à l’est de Tripoli), en date du 2 février courant, s’inscrit dans le cadre d’une tentative lancée par le général putschiste afin de se disculper de toute responsabilité des crimes commis par ce 9ème régiment, tristement célèbre, dans la ville de Tarhouna (90 Km au sud-est de la capitale).

En effet, le 25 novembre écoulé, Washington avait inscrit les milices du 9ème régiment, relevant de Haftar, sur la liste des sanctions, étant impliquées dans la commission de crimes, d’assassinats et d’actes de torture, notamment après la découverte de charniers dans la ville de Tarhouna et dans sa périphérie, après sa libération au mois de juin dernier.

Haftar s’emploie à prendre ses distances de ce 9ème régiment afin de n’assumer aucune responsabilité de ces crimes face aux tribunaux internationaux. Il ira jusqu’à sacrifier les chefs de ces milices à l’avenir s’il sera contraint pour sauver sa personne et ses enfants.

Effondrement du projet de gouvernement militaire

Le projet de Haftar de gouverner la Libye par la force militaire a été achevé. Le général putschiste a, désormais une conviction ancrée, ainsi que les chefs de ses milices et des tribus de l’est qui le soutiennent, quant à l’impossibilité de contrôler Tripoli, tant que la Turquie se place aux côtés de la légalité, au vu de son poids militaire, diplomatique et économique.

Haftar n’est pas seulement impuissant à lancer une nouvelle attaque contre Tripoli, mais est désormais menacé de perdre ses fiefs et bastions aussi bien dans le sud que dans l’est du pays.

En effet, les soutiens et bases de Haftar expriment leur mécontentement et les manifestations organisées dans la région orientale du pays, l’année écoulée, ainsi que les protestations dans la province stratégique d’al-Joffra (Centre) et dans le sud du pays reflètent la colère des citoyens qui n’ont désormais plus peur de sa poigne de fer comme auparavant, et ce malgré la reprise de la série d’assassinats dans la ville de Benghazi (est).

Haftar ne dispose plus d’aucune autre option réaliste que celle de se soumettre à la nouvelle autorité, pour éviter une fin tragique, à la lumière d’un paysage international qui doit s’adapter aux orientations du nouveau locataire de la Maison Blanche.

Nous constatons que les Emirats ont laissé tomber leur allié, l’Arabie Saoudite, dans la guerre au Yémen, en indiquant qu’ils se sont retirés des combats depuis le mois d’octobre dernier, et ce quelques heures seulement après un discours de Biden dans lequel il avait annoncé la suspension du soutien de Washington à la Coalition arabe, conduite par Riyad.

Il n’est pas, non plus exclu, que les Emirats, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la France délaissent Haftar si Biden tranchera et prendra une décision définitive concernant le dossier libyen.

Haftar n’a plus comme allié que la Russie, qui a ses propres intérêts stratégiques en Libye dépassant la sphère des « simples rêves » du général putschiste de gouverner le pays. Mais malgré cela, Haftar continuera à parier sur Moscou pour garder une place dans le paysage politique libyen.

L’équilibre de la terreur et la peur des sanctions américaines ainsi que la recherche d’une immunité pour faire face aux plaintes judiciaires déposées à son encontre, sont autant d’éléments qui inciteront Haftar à accélérer l’annonce de son soutien au nouveau Conseil présidentiel et à se soumettre à une autorité civile, qu’il a longtemps contesté avec acharnement et obstination.

Ryad Abdallah

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