COMMENT LE BÉNIN VA DEVENIR UN ACTEUR DU SECTEUR PÉTROLIER AFRICAIN SANS PRODUIRE UNE GOUTTE D’HUILE.

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En janvier 2019, le Bénin et le Niger ont signé un accord bilatéral pour la construction et l’exploitation d’un système de transport des hydrocarbures par oléoduc. De l’avis de nombreuses institutions internationales, ce projet devrait permettre aux deux pays, non seulement de bénéficier de revenus conséquents, mais également de booster leur croissance économique au cours des prochaines années. Ne disposant pas de ressources exploitables en grande quantité dans son sous-sol, ce contrat a des allures d’aubaine pour le Bénin dont les autorités se félicitent déjà des retombées. Rien pourtant ne prédestinait cet État ouest-africain à être le pays de transit du plus long pipeline d’Afrique.

Un projet initialement destiné au réseau Tchad-Cameroun

Si le Bénin a obtenu d’abriter cette infrastructure pharaonique après une rude concurrence avec d’autres pays comme le Nigeria ou le Tchad, il faut dire que cela n’était pas gagné d’avance. À leurs débuts, les discussions sur le projet d’exploitation du pétrole brut d’Agadem faisaient état d’un pipeline de 600 km devant relier les champs pétroliers de la ville nigérienne à l’oléoduc Tchad-Cameroun. De quoi permettre l’exportation du brut nigérien à partir du port en eau profonde de Kribi, dans la région du Sud du Cameroun, en passant par le territoire tchadien.

Cependant, la China National Petroleum Corporation (CNPC) qui détient les droits d’exploitation du pétrole d’Agadem a décidé de ne pas choisir cette solution peu coûteuse, préférant passer par le port de Sèmè au Bénin.


S’il est vrai que les deux pays ouest-africains partagent une frontière, un pipeline partant d’Agadem pour les infrastructures portuaires béninoises sera bien plus long et reviendra bien plus cher aux opérateurs. Pourquoi la CNPC a-t-elle donc renoncé au tracé Niger-Tchad-Cameroun pour un tracé Niger-Bénin ?

Selon certaines sources citées par le magazine Investir au Cameroun, les motivations de cette décision tiennent aux médiocres relations entre l’entreprise chinoise et les autorités tchadiennes. D’après ces sources, la CNPC aurait finalement invalidé ce tracé plus direct et d’un coût moindre, à cause d’une « mauvaise expérience » avec les autorités tchadiennes. Elle a déjà connu des déboires avec le gouvernement tchadien, avec lequel elle a déjà eu des partenariats.

La CNPC aurait finalement invalidé ce tracé plus direct et d’un coût moindre, à cause d’une « mauvaise expérience » avec les autorités tchadiennes. Elle a déjà connu des déboires avec le gouvernement tchadien, avec lequel elle a déjà eu des partenariats.

Le 13 août 2013 par exemple, elle a été suspendue d’activité par le gouvernement tchadien, pour « violation flagrante des normes environnementales ». Début 2019, la CNPC a de nouveau été confrontée aux autorités tchadiennes pour le contrôle de la Société de raffinage de Djarmaya (SRN). Bien que contrôlant le capital de cette raffinerie à 60%, l’entreprise s’est vu refuser la nomination d’un DG chinois, le gouvernement préférant la promotion de nationaux. Finalement, c’est à l’un des fils du président Déby que le poste fut attribué.

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2000 km de tuyaux à poser.

Cependant, le choix du Bénin pour la construction de cet oléoduc est également lié à des raisons purement sécuritaires. C’est d’ailleurs le principal argument avancé par la partie nigérienne. Ainsi, pour Niamey, « l’insécurité grandissante à ses frontières et la menace permanente que fait désormais peser la secte fondamentaliste Boko Haram dans la région du Lac Tchad » ne sont pas de nature à encourager l’utilisation de ce tracé.

Pour Niamey, « l’insécurité grandissante à ses frontières et la menace permanente que fait désormais peser la secte fondamentaliste Boko Haram dans la région du Lac Tchad » ne sont pas de nature à encourager l’utilisation de ce tracé.

Il faut dire que le Bénin a été jusqu’ici quasiment épargné par les attaques terroristes (un seul kidnapping enregistré dans la Pendjari début 2019). Le pays est connu pour sa stabilité sociopolitique. De plus, Pékin a de très bonnes relations avec le gouvernement en place qui lui a déjà fait appel pour de nombreux projets infrastructurels.

Le plus gros investissement privé du Bénin depuis 1960

Long de près de 2000 km, le pipeline Niger-Bénin d’un coût estimé à 2300 milliards FCFA (4,5 milliards $) constitue l’une des plus grosses transactions pétrolières de l’année 2019. Si la plus grande partie de l’infrastructure se situera en terres nigériennes, le Bénin, qui accueille 675 km du pipeline, espère en tirer de gros profits.

D’après les autorités béninoises, la construction de l’ouvrage permettra d’attirer en amont plus de 600 milliards FCFA, soit 1,08 milliards $. Selon le ministre béninois de l’Eau et des Mines, il s’agit du plus gros investissement privé direct du Bénin depuis l’indépendance en 1960.

Lors de sa phase de construction, on estime que l’ouvrage générera plus de 3000 emplois et plus de 500 autres permanents à la phase d’exploitation. D’ailleurs, le 15 mars dernier, le gouvernement béninois a lancé une procédure de recrutement de 2000 travailleurs pour exécuter les travaux du futur chantier, qui a déjà débuté de l’autre côté de la frontière.

Le 15 mars dernier, le gouvernement béninois a lancé une procédure de recrutement de 2000 travailleurs pour exécuter les travaux du futur chantier, qui a déjà débuté de l’autre côté de la frontière.

En raison de l’étendue des travaux, ces nouveaux emplois précieux pour un pays peuplé d’une majorité de jeunes, seront créés sur tout le territoire. 5 départements sur 12 (Ouémé, Plateau, Collines, Borgou, Alibori) et 17 communes seront impactés par ce gigantesque ouvrage.
Preuve de sérieux du projet, le pays s’est fait livrer début 2020, près de 17 000 tonnes de tuyaux, matériels et équipements destinés à sa réalisation. « Les opérations de déchargement sont en cours et il est urgent de procéder à leur acheminement sur les sites de stockage prévus » indique le gouvernement.

À long terme, une manne financière précieuse

S’il est vrai que la création d’emplois et les différentes activités économiques induites auront un impact immédiat sur l’économie du pays, c’est sur le long terme que le Bénin tirera le plus gros bénéfice de l’affaire.
4 beneficeC’est sur le long terme que le Bénin tirera le plus gros bénéfice de l’affaire.
Au total, l’infrastructure devrait rapporter plus de 300 milliards FCFA (540 millions $) au Bénin au cours des vingt premières années de son exploitation, ceci sans que le pays produise un seul baril d’or noir. Ces bénéfices proviendront des droits de transit et recettes fiscales que percevra l’État béninois sur l’exploitation du pipeline. De plus, le pays aura la possibilité de revaloriser ses droits de transit. À titre d’exemple, en 2013, le Cameroun avait revalorisé son droit de transit sur le pipeline Tchad-Cameroun, de 195 FCFA (0,35 dollars) à 618 FCFA (1,11 dollars) le baril. En 2018, cet impôt a été revalorisé une seconde fois.

Non seulement les caisses de l’État béninois bénéficieront de ce projet, mais celui-ci aura également un impact social. En effet d’après le gouvernement, toutes les communes qui seront traversées par ce pipeline bénéficieront de la réalisation de plusieurs œuvres sociocommunautaires. Entre autres seront construits des centres de santé et des salles de classe dans les 17 communes visées.

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Le Président de la République du Bénin Patrice Talon avec l’ancien
Président de la République du Niger Issifou Mahammadu

Enfin, les retombées seront également visibles sur le plan de la croissance économique. Pour le Niger, le FMI s’attend à une croissance moyenne de 9% au cours des prochaines années. Même si les perspectives sont moins importantes de son côté, l’exploitation du pipeline devrait contribuer à la croissance du Bénin, attendue par la BAD à plus de 6,5% en 2022.

Un retour en grâce dans le secteur pétrolier
Faut-il le rappeler, ce projet ne sera pas la première aventure du Bénin dans le secteur pétrolier. Entre 1982 et 1990, le Bénin a été un pays producteur de pétrole avec un rendement marginal de 8000 barils par jour obtenus sur le bloc Sèmè, au large de la ville de Sèmè-Kpodji où doit atterrir le nouveau pipeline Niger-Bénin. Suite à de nombreux revers, le pays avait renoncé aux pétrodollars pour se consacrer au coton et au palmier à huile.

Entre 1982 et 1990, le Bénin a été un pays producteur de pétrole avec un rendement marginal de 8000 barils par jour obtenus sur le bloc Sèmè, au large de la ville de Sèmè-Kpodji où doit atterrir le nouveau pipeline Niger-Bénin.

Sous l’ancien président Boni Yayi, le Bénin avait entrepris de relancer ses projets d’exploration pétrolière. Après la découverte d’un gisement brut de 87 millions de barils en 2013, Barthélemy Kassa, le ministre de l’Énergie d’alors, avait promis que « le pays marquerait bientôt son retour dans le groupe des producteurs mondiaux de pétrole ». Malheureusement, ces ambitions ont été refroidies par la non-viabilité commerciale de cette découverte.

Ainsi, d’une certaine manière, la construction du nouvel oléoduc marque un retour du Bénin dans le secteur pétrolier. S’il se contentera dans un premier temps d’être une zone de transit, le pays n’abandonne pour autant ses ambitions de redevenir un jour un producteur de pétrole.

L’arrivée au pouvoir de Patrice Talon a coïncidé avec la signature d’un accord optionnel entre la société d’exploration britannique United Oil & Gas et la société américaine Elephant Oil, pour une participation de 20% dans l’accord de partage de production couvrant le bloc d’exploration B, à l’ouest de Cotonou. Situé dans la baie du Dahomey, ce bloc n’a encore fait l’objet d’aucun forage à ce jour. Néanmoins, d’après le résultat des campagnes d’exploration qui y ont été précédemment menées, il pourrait abriter une réserve de plus de 200 millions de barils.

Moutiou Adjibi Nourou

In AgenceEcoFin

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